Les équipes du quadriennal 2010-2013 |

~ À la frontière, autour et au-delà

Présentation

 

 

Coordination : Aminah Mohammad-Arif (CNRS) et Blandine Ripert (CNRS)

 

La notion de frontière est riche de sens : réalité matérielle, elle est surtout une construction idéologique au fort contenu symbolique. Sa valeur heuristique n’est plus à prouver, tant se sont multipliées ces dernières années les publications sur la question montrant tout son intérêt : de la fonction de barrière politique, dont elle tire sa première raison d’être, aux territoires qui se construisent de part et d’autre, jusqu’à l’interface qui canalise les relations entre des espaces séparés, elle ouvre sur un vaste champ de recherche qui inclut également les questions de migration, de circulation, d’identité, d’émotions, de représentations de l’Autre, etc. Nous nous intéresserons ici à la frontière vue comme réalité politique, mais nous aurons des échanges avec l’équipe « Lieux saints et pèlerinages » qui aborde la notion de frontière selon une compréhension plus symbolique du terme. À la fois cadre conceptuel, catégorie épistémologique et réalité observable, elle intéresse l’ensemble des sciences sociales.

Pourtant cette question reste largement inexplorée en contexte sud-asiatique alors même que le sous-continent indien représente un véritable laboratoire en la matière : le poids des frontières politiques a, souvent tragiquement, pesé tout au long de son histoire. De la Ligne Durand séparant le Pakistan de l’Afghanistan, à la Partition entre l’Inde et le Pakistan et les deux partitions du Bengale, l’éclatement territorial imposé par la guerre civile à Sri Lanka, ou encore les tensions à la frontière indo-chinoise, les exemples ne manquent pas et montrent que le phénomène doit être appréhendé dans la durée. L’Asie du Sud rassemble un nombre élevé de communautés transfrontalières : Punjabis, Pashtounes, Cachemiris, Baloutches, Bengalis, Assamais, etc. Pour certaines de ces populations, les Punjabis et les Cachemiris en particulier, la frontière fut mutilante et associée à une violence extrême. L’Asie du Sud est aussi un rare exemple où les frontières ont été tracées en vertu d’une logique religieuse, au moins pour le Punjab et le Bengale. De fait, la frontière relève aussi du sacré et des perceptions qui lui sont associées, les conflits territoriaux les plus forts étant bien souvent ceux où des sentiments religieux se confrontent. D’autres variables identitaires, comme par exemple l’appartenance linguistique, ont joué aussi leur rôle dans la création de nouvelles frontières. Cristallisant les représentations de Soi et de l’Autre, les enjeux associés aux frontières, tout particulièrement en Asie du Sud, véhiculent des mémoires concurrentes, voire antagonistes.

Mais si les frontières définissent l’État-nation et en incarnent les limites, leur tracé peut revêtir un caractère artificiel et arbitraire. Comme partout ailleurs, les frontières en Asie du Sud, dans un jeu d’ouverture et de fermeture, sont redéfinies, négociées, remises en cause : les uns en contestent le tracé, et contribuent par là-même à les consolider, comme au Cachemire, tandis que d’autres oeuvrent au contraire à son effacement, au moins sur un plan symbolique, en (ré)inventant des espaces de réconciliation. Mais il est remarquable que c’est aussi lorsque les frontières ne sont plus remises en cause, comme au Punjab par exemple, qu’elles peuvent être détournées, voire transgressées. Le dépassement des conflits territoriaux autorise ainsi des réappropriations et des réinvestissements divers (à travers la contrebande, les vigiles pacifistes, etc.). Au-delà des conflits, certaines pratiques transfrontalières et transnationales n’ont jamais cessé d’exister, comme les mariages entre musulmans indiens et pakistanais. Les espaces frontaliers, aux limites fluctuantes, sont toujours constitués de lieux d’échanges et d’influences multiples.

Notre réflexion portera d’une part sur les frontières matérialisées (au sens de tracé localisé) : nous tenterons de saisir comment les espaces de séparation génèrent conflits, interactions, (ré)appropriations à travers les usages qui en sont faits ; comment elles sont le reflet d’identités antagonistes, complémentaires, ou hybrides, selon une temporalité très fluide et évolutive, et partant, quel rôle elles endossent de formidable révélateur social. La question des frontières symboliques (entre communautés) sera d’autre part abordée ; cela d’autant plus que le dépassement des frontières géographiques peut aller de pair avec une consolidation des frontières symboliques (à l’image des nationalistes hindous en diaspora). Là où des frontières tombent, d’autres persistent, voire se créent.

À visée largement comparative entre diverses régions du sous-continent et croisant les réflexions d’historiens, de géographes, d’anthropologues, d’économistes et de politologues, notre projet explorera donc ces multiples cas de figure : de la création et la consolidation à l’effacement des frontières, en passant par leur réappropriation et leur détournement.

 

Il s’articulera autour de trois thématiques, situant leur objet à la frontière, autour de la frontière et au-delà de celle-ci :

           

À la frontière

Géopolitique de la frontière en Asie du Sud contemporaine : en replaçant l’État au cœur de notre analyse, on traitera de la frontière dans la construction des identités nationales, des conflictualités associées à la frontière, des exacerbations de fermeture (à travers par exemple les constructions et les projets de clôture physique), des enjeux politiques liés aux rivières transfrontalières dans le cas indo-népalais notamment, etc.

Une anthropologie de la frontière : on se livrera à des observations ethnographiques des rites frontaliers, complétées par des études des narrations de l’expérience de la frontière au quotidien, aussi bien pour ceux qui la franchissent régulièrement que pour ceux qui vivent à proximité. On se demandera également si les cérémonials, comme celui de la fermeture de la frontière à Wagah par exemple, donnent lieu à une exploitation touristique, et partant à une patrimonialisation.

Frontières en construction : Les revendications pour la création de nouveaux États dans l’Union indienne, qui mêlent des données géographiques, ethnographiques, linguistiques reposent sur la fabrication de nouvelles limites territoriales. Les mouvements irrédentistes sont donc particulièrement dignes d’intérêt pour l’étude des frontières, ou ici plus précisément de limites, qui deviennent des lieux de cristallisation des sentiments identitaires. On s’intéressera aussi au Népal post-monarchique, dont l’Assemblée constituante réfléchit à l’élaboration de nouvelles limites administratives dans le cadre d’un État fédéral, sur la base d’une appartenance ethnique ou d’une complémentarité économique.

 

Autour de la frontière

Communautés transfrontalières : On s’intéressera aux modes de passage et de (ré)appropriation de la frontière à travers notamment les réseaux religieux et familiaux (pratiques matrimoniales transfrontalières).

Frontières imaginées : on étudiera les représentations de l’Autre (celui qui se trouve de l’autre côté de la frontière) dans la littérature, les manuels scolaires, les supports audio-visuels (cinéma en particulier).

 

Au-delà de la frontière

Ouverture et connectivité : quand géopolitique et géo-économie se rejoignent. On s’intéressera aux organisations régionales comme la SAARC (South Asia Association for Regional Cooperation) et la SAFTA (South Asia Free Trade Area), ainsi qu’au discours indien sur le principe de connectivité en vertu duquel nul besoin est d’attendre le règlement des contentieux frontaliers pour multiplier les échanges économiques, chacun pouvant bénéficier des effets de la montée en puissance de l’économie indienne.

Les « hors-frontières » et « trans-frontières »: migrants, réfugiés, voyageurs et nomades. On explorera notamment l’élargissement des espaces de vie des hommes, leur réappropriation du territoire, les parcours de réfugiés et les camps dans lesquels certains vivent, créant de nouvelles frontières, les enclaves ethniques en diaspora, etc.

Acteurs et vecteurs de l’effacement des frontières : on explorera les mouvements pacifistes en tant que tels ainsi que d’autres acteurs (tels que les artistes) et vecteurs (comme le cinéma) du rapprochement tant dans les pays d’origine que dans la diaspora.

 

 

 

Séminaires et activités de l’équipe           

 

 

  • 10 avril 2012 : “Guest-worker policies of the Gulf countries: no citizenship”, Radhika Kanchana (CERI) [Séance conjointe avec l’équipe « Représentations et pratiques de la citoyenneté »]

 

  •  10 février 2012 :  « Les réfugiés en Inde sont-ils des étrangers comme les autres ? », Julie Baujard (CEIAS) [Séance conjointe avec l’équipe « Représentations et pratiques de la citoyenneté »]

 

  • 4 octobre 2011 : “Strangers and their Others: The case of Indian immigrants in northern Italy”,  Meenakshi Thapan (Professeure à l'Université de Delhi)

 

  • 6 juin 2011 :  « Nouvelles frontières environnementales dans les régions himalayennes. Exemple du parc national de Kaziranga en Assam (Nord-Est indien) », Joëlle Smadja (CNRS, Centre d’Études Himalayennes)

 

 

  • 20 mai 2011 : "De-Ritualizing Borders in the Valley of Kauravas", William Sax (South Asia Institute, Heidelberg) 

 

 

  • 29 avril 2011 : « Géographies religieuses et identités bengalies: histoires 'Subaltern' de la Partition le long de la frontière bengalie du Sud », Annu Jalais (International Institute of Social History, Amsterdam)

 

 

  • 18 mars 2011 : « De Manille à Surabaya: la circulation des soldats de l'armée des Indes au-delà des frontières (1762-1946) », Claude Markovits (CNRS, CEIAS)

 

  • 14 février 2011 :  « Pour une ethnographie de la frontière indo-pakistanaise » Christine Moliner (doctorante à l’EHESS)

 

  • 28 janvier 2011 : Présentation de l'article de Timothy Mitchell "The Limits of the State: Beyond Statist Approaches and Their Critics", Amélie Blom (doctorante à Science Po, enseignante à IISMM-EHESS)

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