Les équipes du quadriennal 2006-2009 |

~ Enfances indiennes

Coordination :  Véronique Bouillier, Gérard Colas, Gilles Tarabout

 

« Pourquoi les anthropologues n’aiment-ils pas les enfants ? », tel est le titre provocateur d’un article de Lawrence Hirschfeld paru dans un numéro de la revue Terrain intitulé « Enfant et apprentissage », l’argument étant que très peu de travaux anthropologiques sont consacrés prioritairement aux enfants. Selon l’auteur, « la réticence à donner la première place aux enfants dans la recherche résulte de la conjonction de deux erreurs : d’une part, une conception appauvrie de l’apprentissage culturel qui surestime le rôle joué par les adultes et sous-estime la contribution des enfants dans la reproduction culturelle ; d’autre part, un manque d’appréciation de l’étendue et de la force de la culture des enfants, particulièrement dans le façonnage de la culture des adultes » (p.163). En d’autres termes, l’anthropologie a le plus souvent étudié les processus d’apprentissage en voyant dans les enfants des récepteurs passifs, et en méconnaissant leur rôle créateur. Les enfants sont les acteurs de leurs propres réseaux de sociabilité ; ils peuvent être aussi à l’origine de nouveaux modes de communication, et induire chez les adultes d’autres types de relations.

La présente équipe de recherche se propose ainsi d'aborder les questions touchant à l'enfance en Asie du Sud à partir de trois présupposés :

- l'un est de ne pas considérer les enfants comme de simples "pré-adultes" dont l'évaluation ne se ferait qu'en termes de "développement" : ils ont leurs propres caractéristiques, leur présence spécifique dans la société plus large, tout en étant l'objet de représentations et de pratiques parfois contradictoires de la part des adultes. Ce sont ces réalités multiples, en interaction, qu'il conviendra de chercher à préciser.

- un autre est de récuser toute vision réificatrice, et souvent exotique des enfants en Asie du Sud : il n'existe pas une "Enfance indienne" type, dont la vérité se trouverait exprimée, par exemple, dans la théorie brahmanique des âges de la vie (un biais que le célèbre ouvrage de Sudhir Kakar "Moksha. Le monde intérieur. Enfance et société en Inde" illustre parfaitement). Au plan méthodologique, cela implique de porter la plus grande attention aux matériaux empiriques (pratiques, images, discours, textes) en effectuant un travail systématique d'analyse en contexte.

- enfin, et c'est le corollaire des deux premiers présupposés, il est essentiel de restituer la diversité des situations sociales des vies d'enfants en Asie du Sud. Entre les enfants travaillant dans des fabriques d'allumettes et les enfants élevés dès la maternelle dans les English Medium Schools, il est peut-être possible de trouver des traits culturels communs propres à l'Asie du Sud, mais les différences de position sociale et d'existence ne sauraient en aucun cas être gommées : la présente équipe ne s'inscrit donc pas dans une version remaniée de la problématique "culture et personnalité", mais vise à décrire et analyser une multiplicité d'enfances effectives dans le cadre d'une société donnée.

Si les travaux sur l'enfance menés selon une telle perspective sont déjà comparativement anciens et nombreux pour d'autres régions que l'Asie du Sud, force est de constater qu'il n'en va pas de même pour celle-ci. Cela contraste d'ailleurs avec l'abondante littérature consacrée au thème de l’enfance dans d'autres régions d'Asie, si l’on en juge par la bibliographie de l’ouvrage édité par J. Koubi et J. Massard-Vincent (« Enfants et Sociétés d’Asie du Sud-Est »). Il est vrai qu’il s’agit plutôt le plus souvent de sociétés tribales et de topos classiques de l’anthropologie que sont d’une part les théories indigènes de la « production des enfants » (conceptions du corps, de la sexualité, embryologie) et d’autre part les organisations en classes d’âge où les processus de socialisation marqués par des rites de passage, se font par le biais des interactions au sein des groupes de parents ou de pairs.

Quant on regarde le monde indien, les travaux centrés sur l’enfance sont rares, et ils le sont plus encore sur les enfants considérés comme des acteurs sociaux (en dehors des études socio-économiques et des rapports des ONG sur le travail des enfants -voir par exemple l'excellente étude d'Olga Nieuwenhuys, "Children's Lifeworlds. Gender, Welfare and Labour in the Developing World"). Il existe également des travaux de démographie et de sociologie démographique centrés sur le déséquilibre de la représentation des sexes dès la petite enfance (cf. par exemple les travaux de Christophe Guilmoto, et la publication annoncée d'I.Attané et J.Véron, "Gender Discriminations Among Young Children in Asia"), ainsi que des travaux de psychologie sur les soins donnés lors de la petite enfance (par exemple les travaux d'Hélène Stork). Pensons aussi à l'éclairage apporté par les biographies d'intouchables qui remettent en cause bien des préjugés. Ces études sont toutefois encore insuffisamment nombreuses. Par ailleurs, dans une perspective différente, il existe de multiples travaux sur les modes de classification de la pensée brahmanique (l’enfance comme premier des asrama), et sur les rituels qui aident au façonnage de l'enfant ainsi conçu selon une vision téléologique : l’enfant dans les textes classiques, qu’ils soient littéraires ou religieux, est un adulte en devenir, et à ce titre il est soit imparfait (rituellement), soit, au contraire, prometteur d’excellence dans les littératures hagiographiques (on observe alors chez l’enfant les signes de son destin exceptionnel, de ses dons particuliers, qui sont le plus souvent  la présence de traits adultes précoces).

Face au peu d'études disponibles, ou à des études dont les présupposés sont souvent différents de ceux qui ont été énoncés ici, il nous paraît à la fois urgent et important de placer l’enfant au cœur d'une réflexion menée en termes de sciences sociales. L’enfance ne sera pas un concept abstrait, ni la généralisation de conceptions brahmaniques concernant les étapes d'une trajectoire de vie. Il s'agira de faire ressortir la diversité des conditions enfantines en Inde et dans les autres pays de l'Asie du Sud, aussi bien dans la multiplicité des rapports sociaux observables à l'heure actuelle que dans la pluralité des discours qui ont pu être tenus sur les enfants par le passé. Sans négliger aucune source, on s’intéressera aussi bien aux représentations, aux apprentissages qu’aux formes enfantines de sociabilité ou de créativité, en particulier dans le contexte actuel d'élaboration de modèles variés de modernité.

Sociologues, historiens, démographes, sanscritistes, spécialistes de la littérature, anthropologues  seront sollicités.

 

 

Indian Childhoods

 

 

A research team directed by Véronique Bouillier, Gérard Colas, Gilles Tarabout

 

« Why don’t anthropologists like children ? » : such is the provocative title of a paper by Lawrence Hirschfeld in the French journal « Terrain » (10, march 2003). The author argues that few major anthropological studies focus on children because of « a narrow view of cultural learning that overestimates the role of adults and underestimates the contribution of children to cultural reproduction »: the anthropological study of the processes of learning often consider children as passive recipients and ignore their creative role, although children too are actors and build their own sociability networks.

This restraint on the part of anthropologists is all the more to be noted and regretted, as there have been remarkably suggestive works by Historians (for instance the classical study by Philippe Aries about childhood in ancient French society) that fully demonstrate the import and the scope of such studies for reflecting on our own current categories in the matter.

With these remarks in mind, the present research project aims therefore at developing new studies on childhoods in South Asia for the next four years, by following three main guidelines:

Not to consider children only as « pre-adults » and merely in terms of their expected development: they have their particular characteristics and a specific place in society, even though adults project on them contradictory representations. We intend to examine these multiple and interrelated realities.

Not to reify any ideal category such as an « Indian childhood » (is there even such a general category?), but to focus on empirical material and always to contextualize the analysis. What are the various representations and discourses held about childhood in different contexts and at different periods, and what are also the changes taking place nowadays?

Consequently, to take into consideration the diversity of social situations. Even though we might observe common cultural features between children employed in match factories and children studying in English medium schools, we cannot ignore the differences in their social positions or their ways of life. Our questioning will thus explicitly try to escape such perspectives as « Culture and Personnality », and will rather rely on the description and analysis of childhoods as embedded in specific social contexts and discourses.

Such a perspective of research is already well developed in studies concerning other parts of Asia (see for instance the large bibliography in Koubi and Massard-Vincent’s « Enfants et Sociétés d’Asie du Sud-Est »). However, this is not the case in the field of South Asian studies. Such studies on childhood in the Indian world are few, and still fewer consider children as social actors. Nevertheless previous researches, though not in our main perspective, will not be neglected and will contribute to our reflection: there are for instance studies and NGO reports on child labour (e.g. Olga Nieuwenhuys’s "Children's Lifeworlds. Gender, Welfare and Labour in the Developing World"), demographic and socio-demographic studies on sex-ratio imbalance (e.g. Christophe Guilmoto’s work, or Attané and Véron’s "Gender Discriminations Among Young Children in Asia"), as well as psychological studies on childcare practices (Hélène Stork). Autobiographies of Dalits too, which question numerous prejudices should be mentioned. In another perspective, there are studies on classical (brahmanical or jain) systems of classifying (the stages of life or asramas) and the various rituals aimed at shaping the child (as such, in classical texts, the child is ritually incomplete -or, on the contrary in the hagiographical literature, he may be an embodiment of exceptionality).

Given the few available studies of this kind for South Asia, an approach that places children at the centre of research seems important. In such a renewed perspective, childhoods would no longer be merely an abstract concept but would be studied within their respective and sometimes contrasted social contexts. We propose then to examine representations of children, as well as their learning processes, their socializing or culturally creative skills, by taking into account a multiplicity of sources (ethnographic and textual), with a main focus on modern South Asian society.


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