Les équipes du quadriennal 2010-2013 |

~ Histoire et Soufisme dans la vallée de l'Indus

Coordination : Michel Boivin (CNRS)

Présentation

 

Créée en 2008, l’équipe CEIAS « Histoire et soufisme dans la vallée de l’Indus » réunit des spécialistes du soufisme et du culte des saints en Asie du sud. Ils ont rapidement ressenti la nécessité de confronter leurs formations et leurs expériences in situ. Ils ont par conséquent décidé de se concentrer sur un unique cas d’étude : la ville sainte de Sehwan Sharif dans le Sindh (Pakistan). Le soufisme est généralement décrit comme étant la mystique de l’islam, nonobstant d’autres expressions mystiques issues du chiisme ou du culte des saints. Les orientalistes se sont rapidement emparés de la littérature soufie, puis, dans la phase paroxystique de la colonisation, les premières études ethnographiques sont apparues. Plus récemment, les anthropologues ont publié des monographies centrées sur telle ou telle communauté soufie. Cette évolution des travaux sur le soufisme a porté sur diverses régions du monde musulman, et elle a également concerné l’Asie du sud, qui constitue le premier foyer musulman du monde. On dispose donc d’études de qualité sur le soufisme en Inde, au Pakistan et au Bangladesh, qui sont soit des monographies réalisées par tel ou tel spécialiste de tel domaine (Ansari, Buehler, Currie, Eaton, Ernst, Ewing, Frembgen, Green, Huda, Islam, Liebeskind, Moini, Nizami, Pinto, Qureshi, Rozenhal, Srivastava, Werbner) soit des recueils de contributions ou des synthèses (Troll, Lassen & Skyhawk, Rizvi). Chacune de ces études consacrées à un site particulier a en effet résulté de la mise en oeuvre d’une méthodologie précise, soit elle anthropologique, ou bien basée sur les sources littéraires et/ou historiques.

Depuis une trentaine d’années les travaux sur le soufisme en Asie du sud se sont concentrés sur la société. Les chercheurs ont cherché à analyser comment les ordres soufis s’inséraient dans la société « non soufie », comment ils parvenaient à y jouer un rôle. Cette nouvelle phase a été illustrée par l’étude que Richard Eaton a consacrée aux « rôles sociaux » des soufis de l’Inde médiévale (Sufis of Bijapur 1300-1700. Social Roles of Sufis in Medieval India, Princeton, Princeton University Press, 1978). L’accent a été mis sur la fonction de pacification sociale et d’harmonisation religieuse, car il est peu de sanctuaires soufis en Asie du sud qui n’acceptent que les musulmans. La fonction intégrative du soufisme a souvent été liée au processus de vernacularisation qu’il mettait en œuvre, en particulier à travers ses expressions culturelles. Ernst et Lawrence écrivent à ce sujet que la séance de musique dévotionnelle (sama) «retained a unique significance as the integrating modus operandi of the Chishti order » (Carl Ernst & Bruce Lawrence, Sufi Martyrs of Love. The Chishti Order in South Asia and beyond, New York, Palgrave, 2002, p. 36)

Ces problématiques ont certes permis de faire progresser la connaissance du soufisme mais elles peuvent cependant paraître quelque peu réductrices dans la mesure où elles ne rendent pas compte de sa complexité. Le soufisme est en effet un phénomène complexe car il implique une pluralité de champs comme les expressions religieuses, mais aussi les dynamiques sociales, la gestion de l’espace ou l’interaction entre les héritages  historiques. En tant que tel, son étude nécessite par conséquent la mise en œuvre d’un éventail de méthodologies issues de différentes disciplines. Or malgré la quantité impressionnante de travaux universitaires publiés sur le soufisme, on observe qu’aucune étude interdisciplinaire n’a jamais été consacrée à un site soufi, ni en Asie du sud ni dans aucune partie du monde musulman.

En outre, bien que des synthèses aient été publiées sur les principales tarîqa-s, il en est une qui n’a pas bénéficié de projet de recherche approfondi : la Qalandariyya. Au Moyen-Age, les qalandar-s étaient des soufis marginaux qui se caractérisaient par trois pratiques : le renoncement, l’errance et l’antinomisme. Par ailleurs, cette approche pluridisciplinaire devrait permettre de mieux discerner l’articulation entre soufisme et culte des saints.  L’interrelation qui les unit est encore trop souvent considérée comme allant de soi. Pourtant en Asie du sud, le soufisme ne subsume pas toutes les expressions du culte des saints, comme le prouve l’existence de lieux de culte liés aux personnages chiites (Ahl-e bayt) ou bien à d’autres catégories de héros, comme Ghazi Miyan.

L’équipe qui travaille sur Sehwan pourrait également enrichir le débat épistémologique actuel qui interroge la pertinence de catégories utilisées depuis la période coloniale britannique. On pense au premier chef aux catégories « hindou » et « musulman ». Alka Patel a démontré que ces termes étaient très réducteurs, et qu’ils ne pouvaient pas restituer la complexité des affiliations (Building Community in Gujarat. Architecture and Society during the Twelfth through the Fourteenth Centuries, Brill, Leiden-London, 2004). Alors que son travail est consacré au Gujarat et au Sindh oriental du 12e au 14e siècle, de telles interrogations sur l’emploi de ces désignations permettront d’évaluer l’impact des différentes formes d’islamisation à l’œuvre au Pakistan sur l’usage de ces catégories à Sehwan : comment qualifier par exemple Lal Das, un « hindou » qui gère un hospice soufi où il distribue des amulettes (tawiz) rédigées avec des extraits coraniques à des musulmans sunnites ? Il permettra enfin de questionner d’autres catégories largement utilisées dans ce contexte comme syncrétisme, ou, plus récemment, liminalité.

L’objectif de l’équipe est par conséquent de mettre en œuvre une étude interdisciplinaire du site de Sehwan Sharif, dans le Sindh au Pakistan, qui abrite le mausolée du soufi d’origine persane La`l Shahbâz Qalandar (m. 1274). Sehwan Sharif est aujourd’hui une ville moyenne située près de l’Indus. Elle occupe depuis l’Antiquité une position stratégique du fait qu’elle commande le verrou de Lakki, qui permet d’accéder à la mer d’Oman et à l’océan Indien. Au fil des siècles, la notoriété du saint a contribué au développement d’un pèlerinage (ziyârat) et aujourd’hui, le sanctuaire de Lal Shahbaz Qalandar est le centre vers lequel convergent les nombreux lieux sacrés de la ville sainte. La problématique générale de cette étude concerne l’impact du développement du pèlerinage sur l’évolution de la ville de Sehwan Sharif. Il s’agira d’étudier en quoi le développement de ce culte a infléchi l’évolution des territoires, basés sur la caste ou la tribu, qui composaient Sehwan, mais également les rapports de force entre les gestionnaires du charisme et ses consommateurs. Il s’agira également de déchiffrer quel héritage de la Qalandariyya médiévale est encore vivace à Sehwan. On s’interrogera enfin sur l’éventualité de la production d’une culture locale centrée sur le saint, à travers les productions monumentales, les expressions musicales, les affiches ou de simples objets de culte. L’interdisciplinarité semble particulièrement bien adaptée au cas de Sehwan, dans la mesure où la ville constitue un véritable système dont les composants sont liés et interdépendants.

Les travaux de l’équipe se répartissent en trois volets: le patrimoine architectural et épigraphique, la gestion de l’espace, qui implique l’élaboration d’un SIG, et les dynamiques sociales dans la courte durée.

Patrimoine architectural et épigraphique

Le patrimoine architectural de Sehwan Sharif est composé du sanctuaire de Lal Shahbaz Qalandar, des sanctuaires consacrés à ses disciples directs, et des sanctuaires consacrés à d’autres saints qui avaient ou non un lien historiquement avéré avec lui. D’autres espaces sacrés devront être identifiés. En premier lieu, la diversité des lieux saints rendra nécessaire de constituer une typologie des sanctuaires sachant que ni la terminologie locale ni l’approche purement fonctionnaliste ne suffisent en effet pour les identifier et les classer.  En second lieu, il s’agira d’étudier comment l’espace du mausolée s’articule avec la ville et dans ce contexte, le plan des principaux sanctuaires sera réalisé. Enfin en troisième lieu, l’étude des styles et du lexique décoratif devra apporter des réponses quant à l’existence éventuelle d’une culture locale spécifique. L’épigraphie y contribuera en établissant s’il est possible de parler d’une production épigraphique sindhi, et quels changements récents elle a connus.

Gestion de l’espace

Cette partie du programme débutera par une collecte systématique des sources cartographiques  dans différentes institutions en Europe (Londres) et en Asie du sud (Karachi, Bombay). Elle sera suivie par une phase de géoréférencement qui impliquera de relever différents types d’espace : la vieille ville et la ville nouvelle, les mausolées et les hospices, les lieux de culte secondaires, ainsi que les madrasas et les lieux d’hébergement des hospices, et enfin des données concernant l’occupation de l’espace urbain par des groupes sociaux, basées sur des critères comme la communauté, l’appartenance sociale et religieuse. Les deux derniers terrains (20010 et 2011) se dérouleront aux deux moments festifs de l’année liturgique : le `urs et Moharram.

Ces évènements sont marqués par de nombreuses processions qui reflètent aussi bien les compétitions entre gestionnaires du charisme que les compromis passés entre les lignages dominants. Cela permettra de décrire la nouvelle géographie urbaine qui émerge de l’activité rituelle. Les informations collectées au cours de ces terrains aboutiront à la création d’un SIG à partir duquel différents types de cartographies pourront être exploitées (plan général de la ville, carte montrant l’évolution de la morphologie urbaine, distribution des mosquées avec leur affiliation etc.). L’importance du SIG est capitale pour la mise en œuvre d’un projet interdisciplinaire. Parlant du programme interdisciplinaire sur Chanderi, Gérard Fussman considère à juste titre qu’il en est le « principe structurant » (G. Fussman, D. Matringe, E. Ollivier et F. Pirot, Naissance et déclin d’une qasba. Chanderi du Xe au XVIIIe siècle, vol. 1, Edition de Broccard, 2003, p. 54).

Dynamiques sociales dans la moyenne durée   

Le dernier volet de l’étude interdisciplinaire associera différents champs d’étude comme l’histoire, la sociologie et l’anthropologie. La problématique centrale consistera à identifier en quoi le sanctuaire, par sa gestion et par ses rituels, intervient dans les processus sociaux qui marquent l’évolution urbaine de Sehwan Sharif. Il s’agira en particulier de situer les pratiques et les discours dominants par rapport à l’héritage de la Qalandariyya. On devra également s’intéresser au fait que Sehwan reste un lieu ouvert qui permet l’émergence de nouveaux maîtres spirituels (pirs), parfois des femmes, en dehors du système traditionnel piri-muridi dominé par les élites locales. Dans ce contexte, une attention particulière sera accordée aux rôles joués par différentes catégories de groupes marginalisés comme les femmes, les hindous ou les hijras. Enfin, des travaux seront consacrés au sanctuaire de Bodlo Bahâr qui est réputé pour héberger la tradition authentique de Lal Shahbaz Qalandar.

 

 

Valorisation

 

Séminaires et activités de l’équipe

 

  • Demi-journée d’études : Travaux récents sur l’islam dans le sous-continent indien : quelles nouvelles perspectives? - 24 janvier 2013
  • Exposition photo : "The red between black and white", par Omar Kasmani, EHESS, Hall principal, Paris - 15 septembre-15 octobre 2010

  • Atelier et Journée d’études :  Fondation de lieux de culte, CEIFR, CNRS/EHESS - 12 juin 2009

  • Michel Boivin et Rémy Delage : « Le martyre de Benazir Bhutto : naissance d'un culte au Pakistan » - 29 mai 2009

  • Atelier pour doctorants et post-doctorants : « Islam et pèlerinages en Asie du sud » avec Pina Werbner, professeur d'anthropologie sociale à Keele University (UK), professeur invitée à l'EHESS (IISMM) - 27 mars 2009

  • Pnina Werbner : "Regional Cults in Islam: Religious, Ethnic and Organisational Inclusiveness" - 3 mars 2009

  • Journée d'études : Pluralité des sources et approche interdisciplinaire : le site de Sehwan Sharif dans le Sindh (Pakistan) - 27 janvier 2009

  • Lancement du livre édité par Michel Boivin Sindh Through History and Representations : French contributions to Sindhi Studies, Oxford University Press, Karachi ; à cette occasion, une conférence internationale sur le thème The Cultural and Historical Legacy of Sindh and Pakistan, a été organisée avec l’Alliance Française de Karachi - 15 octobre 2008

  • Jérémie Nechtschein : « Compte rendu de mission (hors CEIAS) à Sehwan Sharif » - juin 2008

  • Rémy Delage : « Approches du pèlerinage en sciences sociales » - avril 2008

  • Michel Boivin, "Pilgrimages in the Muslim world through interdisciplinary approach: the Sehwan Sharif programme as a case study", [Institute for the Study of Muslim Civilizations, Aga Khan University (International) in the United Kingdom, London]

 


         

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