Cycle - L’amour entre norme et transgression : art, histoire, fiction [2014-2018] |


	Une

Une "histoire d’amour" de l’Himalaya central : Le récit de Mâlu Shâhî chanté par Joga Râm

Marc GABORIEAU

14 janvier 2016 | 10h30 - 12h30

Salle 638, 190 avenue de France 75013 Paris

 

 

            Comment décrit-on et nomme-t-on l’amour dans la tradition orale épique de l’Himalaya central, dans l’ancien royaume des Katyûrî (à cheval sur la frontière occidentale du Népal) où l’on parle des dialectes apparentés du pahari (garhwali, kumaoni, dotyali) ?

Cette tradition (Oakley & Gairola [1935] 1977 ; Gaborieau 1974a et 1977 ; Bernède 1997 ; Leawitt 2000) est celle de bardes en principe intouchables. Chantant et déclamant, ils exécutent leurs récits en s’accompagnant d’un tambour-sablier à tension variable ; ils sont secondés par deux acolytes qui tiennent la note entre les strophes. Il n’y a pas de texte fixe : sur des canevas traditionnels, ils improvisent leurs récits à l’aide de formules et de thèmes tout faits, selon le procédé de ‘composition orale’ décrit pour les Balkans et les épopées d’Homère par Milman Parry (1902-1935) et Albert B. Lord (1912-1991) (Lord 2000).

            Cet exposé traite d’une sous-classe de récits héroïques à thème amoureux (Gaborieau 1974b, pp. 318-319). Il est illustré par des extraits du plus célèbre d’entre eux : Mâlu Shâhî,qui narre les amours d’un roi hindou de ce nom et d’une tibétaine prénommée Râjulî (Upreti 1980 ; Meissner 1985). Malu Shahi, de la dynastie des Katyûrî, tombe amoureux de Rajuli. Mais elle est mariée de force par son père à un prince tibétain. Elle s’enfuit. Après des épreuves tragi-comiques, elle rejoint Malu Shahi et le met au défi : « Si tu es vraiment un homme, vient m’arracher à mon mari ». Délaissant son royaume, il se fait initier à l’ordre des yogis Kân-Phatâ et part avec son armée reconquérir sa belle. Après des épreuves merveilleuses, il affronte et tue son rival avec l’aide magiciens qui sont des Yogis. Il ramène Rajuli en triomphe et l’épouse. Ils sont heureux mais n’ont pas d’enfants : la dynastie s’éteint.

            Comparant ce récit à onze autres (de la même sous-classe des récits d’amour) collectés sur toute l’aire considérée, j’en ai fait une ‘analyse structurale’  (Communication 8[1966] 1981 ; Poétique 19 1974) selon la méthode forgée par Vladimir Propp (1895-1970) pour les contes (Propp [1928] 1970). J’ai dégagé une ‘structure’ (voir page suivante) défini par une série de douze ‘fonctions’ (F) qui se suivent toujours dans le même ordre. Dix des récits qui collent à cette structure sont classés comme ‘sérieux’ : ils tirent des larmes de l’auditoire. Les deux autres, qui s’en écartent, sont ‘comiques’ et font rire (Gaborieau 1974b, p. 116-123).

L’exposé illustre ensuite les principales fonctions (F) du récit en citant des extraits de ma traduction de la version de Joga Ram (Gaborieau 1970-1971a) : coup de foudre à la première rencontre (F2) ; épreuves de Rajuli qui vient informer Malu Shahi de son mariage forcé (F3) ; départ du héros (F4), initié comme Yogi (F5), pour délivrer Rajuli ; retour triomphal de Malu Shahi ramenant Rajuli dans sa capitale après avoir vaincu son mari (F12a).

La présentation s’achève par une triple réflexion sur cette tradition épique. Elle exalte l’amour transgressif jugé à l’aune du sens de l’honneur et du risque de mort. Elle s’inscrit dans un registre indubitablement savant dans sa langue comme dans son contenu : l’idéologie panindienne des ascètes Kân-Phatâ Yogis. En effet l’amour y est décrit comme une sorte de renoncement ; l’amoureux rejoint l’antique tradition des ascètes guerriers (Kolff 1990) ; le barde, qui est aussi un gourou et un exorciste doté de pouvoirs magiques, est un analogue des Yogis, car il est indirectement rattaché à l’ordre des Kân Phatâ (Bouillier 2008 ; Gaborieau 1975). Ces récits enfin décrivent l’amour plus qu’ils ne le nomment. Et quand ils le nomment, ils désignent exclusivement les affres de la séparation, dans la tradition indienne du viraha : comme équivalent de ce nom sanscrit, les dialectes paharis ont forgé leur propre terme, dhoko, qui n’existe nulle autre langue indo-aryenne, et qui signifie la nostalgie de l’amour perdu.

Parodiant Proust, Malu Sahi pourrait être sous-titré : À la recherche de l’amour perdu.

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