CECI n'est pas EXECUTE Vécus de la pluralité religieuse et réflexivité en Asie du Sud

Les ateliers du quinquennal 2014-2018 |

Vécus de la pluralité religieuse et réflexivité en Asie du Sud

Vécus de la pluralité religieuse et réflexivité en Asie du Sud

Coordination : Aminah Mohammad-Arif et Grégoire Schlemmer

 

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L’Asie du Sud est connue pour sa grande pluralité religieuse : hindouisme, islam, christianisme, sikhisme, bouddhisme, zoroastrisme, jainisme, judaïsme et religions tribales, autant de traditions elles-mêmes caractérisées par d’importants courants et variations internes, s’y côtoient depuis des siècles. Dans un tel contexte, comment penser les formes d’interactions entre les membres de ces religions ? Comment cette pluralité est-elle concrètement vécue? Quel impact une telle coexistence exerce-t-elle sur les représentations et les pratiques des individus ? Quels peuvent être les points de contact mais aussi de ruptures entre eux ? Alors qu’émerge, dans l’Europe en crise, un débat sur la pluralité religieuse, le caractère multiconfessionnel des sociétés d’Asie du Sud offre un champ de réflexion d’autant plus heuristique que la situation contemporaine de crispation religieuses et identitaires qu’elles connaissent rend le débat particulièrement actuel.

Cette thématique a bien sûr déjà fait l’objet de plusieurs travaux. Il existe ainsi de riches études de cas portant sur des religions particulières (Ahmad & Reifeld 2004, Mayaram 1997 pour islam et hindouisme, Mumford 1989 pour bouddhisme et religions locales, etc.), ou des études abordant la pluralité religieuse sous des angles spécifiques, comme la question identitaire, en s’appuyant notamment sur le cas des chrétiens et des musulmans en Inde (Assayag et Tarabout 1997), ou comme la question institutionnelle et/ou politique, en prenant par exemple le sécularisme comme point d’entrée (Jaffrelot et Mohammad-Arif 2012).

Nous proposons ici d’approcher la pluralité religieuse différemment, en partant des individus et de leurs propres conceptions et pratiques. Par individu, nous n’entendons pas nécessairement un acteur autonome dégagé des logiques collectives et libre de ses choix et convictions tel que le sous-tend la notion d’individualisme moderne. Mais à l’instar de la démarche des subaltern studies, qui ont redonné aux groupes étudiés une place de sujets politiques, acteurs de leur propre histoire, nous souhaitons mettre en avant le rôle de sujet agissant (agency) dans le domaine moins exploré du religieux.

Pour ce faire, nous mobiliserons le concept de réflexivité, — cette démarche intellectuelle du retour de la pensée sur elle-même, qui met le sujet à distance de ses conceptions et de ses pratiques, laissant ainsi place à la réflexion, à l’évaluation, voire au doute et à la mise en question. Nous partirons de l’hypothèse que la démarche réflexive se développe avant tout dans l’interaction avec d’autres formes de pratiques religieuses et de discours sur le religieux : en faisant apparaître plusieurs choix possibles, ces formes d’interaction interrogent le caractère potentiellement routinier et impensé des pratiques et des représentations religieuses par les individus concernés. Nous posons également que cette démarche réflexive a, en retour, des effets sur les conceptions et les pratiques religieuses des individus concernés, tout comme sur la manière dont ils conçoivent les pratiques et les représentations des individus appartenant à ces autres religions qu’ils côtoient. En partant de leur vécu de la diversité religieuse (au travers d’observations, de récits, d’histoires de vie) et de la démarche réflexive qu’il génère, nous nous intéresserons donc à la manière dont des individus particuliers repensent, ajustent, réinterprètent leurs conceptions et pratiques religieuses par le détour de l’autre. Il s’agira au final d’étudier le vécu de la pluralité religieuse à partir des discours réflexifs des individus qui y sont confrontés, en émettant l’hypothèse que ces discours peuvent avoir en retour des effets sur les conceptions et les pratiques des individus concernés et sur leurs conceptions des pratiques des autres.

Cet atelier thématique se fondera sur des études de cas décrivant des situations et des processus, présents ou passés, de vécu de pluralité religieuse parmi différentes sociétés d’Asie du Sud. L’approche par étude de cas est rendue nécessaire par l’importance des contextes – historiques, politiques, juridiques, sociaux et bien sûr religieux – qui façonnent la manière dont la pluralité religieuse est pensée et vécue par les individus. Par delà ces grandes variétés de contextes, les processus à l’œuvre seront abordés à partir de l’analyse de trois types de situation au sein desquels la pluralité religieuse s’observe : coexistence, interpénétration, conversion.

Les situations de coexistence. Par coexistence, nous entendons des situations où des individus ou des groupes de religions différentes cohabitent, tout en restant clairement distincts. Ces situations peuvent s’analyser dans divers contextes et à plusieurs niveaux (spatiaux, temporels, milieux sociaux, etc.). Nous étudierons les circonstances de la négociation, de l’accommodation, de la démarcation, de l’affirmation religieuse, voire du conflit, entre individus ou communautés d’appartenance religieuse différente. Nous analyserons aussi le degré de connaissance mutuelle (à partir par exemple des discours sur les traits communs et les traits spécifiques aux groupes), les points d’accord et de partage, ou encore le choix des signes marquants la différence (qu’elle soit ou non mise en avant par les intéressés). Autant d’éléments émergeant directement du regard réflexif des personnes étudiées.  

Les situations d’interpénétration. Il existe aussi des cas où la pluralité religieuse dépasse la simple coexistence, aboutissant à des situations de multiple appartenance, de perméabilité ou d’interférence entre religions. Il peut s’agir de lieux (sanctuaires, lieux de pèlerinage) et/ou de pratiques où interagissent des individus et des groupes de religions différentes, de cas d’individus ou de groupes adhérant simultanément à plusieurs religions à la fois, ainsi que d’individus ou de groupes convertis mais conservant des pratiques antérieures à leur conversion, ou encore d’individus issus de mariages mixtes. En se fondant sur les discours réflexifs des individus concernés comme sur les implicites de leur propos, nous tenterons de saisir sur quels critères et selon quelles logiques s’opère la possible interpénétration, qui rend ces pratiques cohérentes aux yeux des acteurs, mais aussi de comprendre où se situent les limites de l’interpénétration qui font que les religions restent pensées comme différentes.


Les situations de conversion. La conversion représente une autre facette du vécu de la pluralité religieuse, puisque cette dernière s’observe au sein d’une même trajectoire individuelle, les convertis étant des individus qui, par définition, ont vécu plus d’une religion. La conversion est ici entendue comme un passage, un basculement — souvent volontaire et choisi —  dans une nouvelle religion. Nous étudierons le processus même de conversion (qui peut être graduel) et ses vecteurs. Nous nous intéresserons particulièrement aux motivations exprimées et/ou sous-jacentes qui ont entraîné la conversion, ainsi qu’aux effets réflexifs que la situation de conversion suscite : regard a priori des individus susceptibles d’être convertis et a posteriori des convertis, sur leur anciennes conceptions et pratiques comme sur les nouvelles, mais aussi discours de ces convertis sur les non-convertis et réciproquement. Nous analyserons également les effets de ces conversions sur le rapport aux non-convertis et aux membres d’autres religions. Les convertis de l’intérieur (maintien au sein d’une même religion, mais appréhension différente de cette religion après la conversion) retiendront aussi notre attention.

La description et l’analyse de ces situations où s’observe la pluralité religieuse permettront de jeter les bases d’une approche comparative — non entre religions, prises comme un tout essentialisé, mais à partir des formes concrètes qu’elles revêtent dans tel ou tel contexte socio-politique, et qui peuvent-être très éloignées – voire contradictoires – au sein d’une même religion (par exemple, l’hindouisme tel que pratiqué au sein de la caste, par contraste à l’hindouisme sectaire ou encore celui des mouvements de réformes). Nous pourrons ainsi comparer comment les spécificités religieuses, les tendances idéologiques et les principes structurants, tels qu’ils se manifestent dans des contextes particuliers, influent sur les types de représentation et d’interaction entre membres de telle religion et des autres la côtoyant : vision du divin et du type de salut promu, caractère plutôt orthodoxe ou orthopraxe, tendance fondamentaliste, réformiste ou syncrétique, ou encore types de marqueurs ou de symboles forts mis en avant, etc.

Outre l’importance qu’il donne à la description des situations et des processus de pluralité religieuse et à leur comparaison, ce travail a aussi des visées théoriques. Cette analyse du vécu de la pluralité religieuse, appréhendé à partir de trajectoires individuelles et en mobilisant le concept de réflexivité, permet en effet de revisiter un ensemble de notions habituellement utilisées dans l’étude des phénomènes religieux et leur interaction.

Nous interrogerons ainsi les concepts adéquats pour décrire les vécus de la pluralité religieuse. Accommodement, inclusivisme, tolérance, communautarisme, ou encore syncrétisme, hybridité, bricolage, créolité et métissage sont autant de concepts qu’il sera intéressant de repenser en prenant la pluralité religieuse comme point d’entrée, car ils ont été soit insuffisamment utilisés en contexte sud-asiatique (contrairement au contexte afro-américain par exemple), soit soumis à des critiques plus ou moins vives sur leur validité conceptuelle (comme le syncrétisme) et/ou empirique (comme la tolérance).

Parce que la pluralité religieuse interroge les frontières entre les religions et les relations entre les groupes, nous nous intéresserons non seulement aux processus de fluidification et de perméabilité mais aussi aux phénomènes antagoniques engendrés par la pluralité religieuse, comme l’exclusivisme ou le fondamentalisme, qui, eux-mêmes, peuvent potentiellement déboucher sur la concurrence, voire la confrontation.

Nous nous intéresserons aussi à la dimension spécifiquement religieuse de l’acculturation. Comment, par exemple, faut-il situer les phénomènes de bouddhisation, d’islamisation, ou encore de sanskritisation, par rapport à la conversion ? Et plus généralement, comment s’articulent changements culturels et changements religieux ?

Cette recherche sera réalisée à partir du regard croisé de chercheurs de diverses disciplines (anthropologues, historiens, ou encore géographes, spécialistes de l’Asie du Sud, sans s’interdire des comparaisons avec d’autres aires culturelles). Il est aussi prévu des collaborations avec l’atelier thématique « L’hindouisme, l’autre et l’ailleurs ».

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