CECI n'est pas EXECUTE Idéologies et pratiques du « bien-être » : corps, habitat et communauté

Les ateliers du quinquennal 2014-2018 |

Idéologies et pratiques du « bien-être » : corps, habitat et communauté

Idéologies et pratiques du « bien-être » : corps, habitat et communauté

Coordination : Caterina Guenzi, Laurent Pordié et Raphaël Voix

 

L’étude du « mal-être » dans toutes ses formes — maladie, malheur, détresse, infortune, pauvreté, violence — est au coeur d’une vaste littérature en sciences sociales ; les institutions, les pratiques et les représentations traitant de la souffrance et de la douleur, tant bien individuelle que collective, ont été examinées dans des différentes perspectives analytiques et contextes sociaux. Peu d’intérêt semble en revanche avoir suscité l’étude des conceptions et des pratiques du « bien-être ». Tout en interrogeant les frontières, les contenus et les outils analytiques de ce champ d’étude jusqu’à présent sous-exploré, cet atelier de recherche se focalisera sur la région sud-asiatique. Ses recherches porteront sur les notions vernaculaires et les pratiques locales mobilisées dans cette région afin d’appréhender, de réglementer et de contrôler, de nos jours comme par le passé, des valeurs et des ressources telles que la santé, la prospérité matérielle, la fortune, la pureté, le bonheur, la longévité ou l’harmonie. En réunissant des spécialistes des différentes disciplines —anthropologues, historiens, sanskritistes, sociologues, géographes, architectes, économistes et politologues—, l’atelier s’attachera à examiner non seulement comment les différentes idées de « bien-être » ont été formulées et utilisées dans des contextes régionaux et historiques spécifiques, mais interrogera aussi l’évolution et les limites de la notion de « bien-être » en tant que concept utilisé par différentes disciplines des sciences sociales.

Questionner le concept de « bien-être »

La notion de « bien-être », telle que nous l’entendons dans cet atelier de recherche, dépasse le sens commun qui lui est généralement attribué en français. Elle ne renvoie pas seulement à une absence de tensions corporelles et/ou mentales, qu’un individu peut ressentir ; pas plus qu’elle ne se cantonne au domaine de la santé ou du développement personnel par la réalisation de soi. L’expression de « bien-être » renvoie ici tout autant à une dimension individuelle (wellbeing) qu’à une dimension sociale et collective (welfare) et l’articulation entre ces deux dimensions. S’il s’agit donc de prendre une distance avec l’acceptation générale du terme en français, il s’agit également d’interroger l’emploi qu’en ont fait les sciences sociales. Bien que l’anthropologie de la santé ait développé une littérature importante sur le bien-être (wellbeing), la définition du concept a été insuffisamment problématisée et le terme a été considéré principalement comme une extension du terme de «bonne santé » (good health). De leurs côté, de nombreuses études socioéconomiques commandées par des agences internationales entendent par « bien-être » un indicateur de développement, dont il serait possible de mesurer le niveau au travers de variables socioéconomiques composites. Pensons par exemple, à l’Indice de Développement Humain (IDH), qui se base sur l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie pour déterminer le niveau de « bien-être » d’une population, ou « l’Indice de Bonheur National Brut » développé par le gouvernement Bhoutanais, qui en plus de la croissance et du développement économique prend un certain nombre de facteurs culturels en compte (tels que tels que la conservation ou la promotion de la culture bhoutanaise, la sauvegarde de l’environnement et la promotion du développement durable, la bonne gouvernance responsable). D’autres agences mettent au coeur de leur définition du « bien-être » l’indice des libertés publiques.

Une des tâches de cet atelier sera donc de questionner la pertinence anthropologique de la notion de « bien-être » en Asie du Sud. Il s’agira de voir dans quelle mesure elle pourrait devenir un concept opératoire pour rendre compte d’une diversité de phénomènes sociaux, lesquels sont susceptibles de participer à différents champs de connaissance. Malgré ses limites, la notion de bien-être nous paraît heuristiquement féconde puisqu’elle permet de dépasser la séparation communément établie entre la dimension psychocorporelle (le bien-être en tant que « santé »), la dimension religieuse (le bien-être en tant qu’« harmonie », correspondance entre microcosme et macrocosme, auspiciousness) et la dimension matérielle et économique (le bien-être en tant que « prospérité », confort). Elle nous permet donc de questionner les répartitions, trop souvent établies en sciences sociales, entre les domaines du médical, du religieux et de l’économique.

Les recherches menées au sein de l’atelier porteront tant autour des représentations que des mises en pratique de la notion de « bien-être ». D’un côté, il s’agira de s’intéresser aux « idéologies du bien-être ». L’analyse de la terminologie vernaculaire telle qu’elle se donne à lire dans les traités - philosophiques, religieux, médicaux ou juridiques – ou à entendre dans les ethnographies devrait permettre de mieux cerner les variations sémantiques autour de notions proches ou avoisinantes. De quoi rendent compte, par exemple, les idées de « bien-être de l’univers » (lokasaṃgraha), « bien-être de la société » (samājakalyāṇa) ou « bien-être des gens » (janakalyāṇa) que l’on trouve dans les Écritures hindoues ? Quels sont leurs emplois et à quoi renvoient-elles aujourd’hui ? Il s’agira également de s’intéresser aux « représentations du bien-être » telles qu’elles peuvent apparaître dans les médias (cinéma, publicités, internet) et dans la littérature (théâtre, romans, poésie). Enfin nous nous intéresserons aux « théories du bien-être » en portant notre regard sur les doctrines savantes telles qu’elles sont véhiculées dans les textes, ainsi que dans les discours des gourous contemporains ou dans les conceptions locales communes.

D’un autre côté, nous nous intéresserons aux pratiques et aux techniques mises en jeu afin d’atteindre un état de bien-être. Notre perspective analytique visera tout particulièrement à faire ressortir les décalages qui surgissent entre la norme établie, l’ « idéal » de bien-être, et les contraintes imposées par sa réalisation matérielle et sociale.Nos recherches prêteront ainsi une attention particulière aux processus d’adaptation et d’ajustement qui, tout en étant parfois déjà évoqués dans les textes, peuvent être observés par le biais d’enquêtes historiques et ethnographiques.

Cette interrogation autour des idéologies et pratiques du bien-être s’articulera autour de trois axes principaux :

1) Corps et perfection de soi

L’harmonie entre microcosme et macrocosme, entre processus physiologiques corporels et environnement extérieur, est au coeur de toute une panoplie de traditions savantes dans la région sud-asiatique. Celles-ci incluent non seulement les doctrines médicales de type humoral (āyurveda, yūnānī, siddha), mais aussi d’autres disciplines telles que le yoga, l’astrologie ou l’alchimie. Nos recherches porteront, d’une part, sur la manière dont l’idée de bien-être est élaborée dans le cadre de ces différentes doctrines textuelles, et, de l’autre, dans une perspective historique et sociologique, sur les transformations qu’elle ne cesse de subir dans les différents contextes, tant au niveau des pratiques que des représentations. Dans la société contemporaine, ces savoirs se trouvent non seulement à cohabiter avec la biomédecine, mais subissent aussi l’impact d’un nouvel imaginaire, propre au contexte urbain globalisé, où le corps contaminé et souffrant doit être « purifié » des agressions extérieures telles que le stress professionnel et la pollution ambiante. L’atelier s’attachera donc à examiner les institutions (Spa, centres de bien-être, salles de sport), et les praticiens (médecins, masseurs, coaches) qui se spécialisent dans la production de ces nouvelles formes de « bien-être » intégrant des savoirs médicaux, cosmétiques et performatifs de différents horizons.

2) Habitat et organisation de l’espace

Ce volet du programme interrogera la manière dont l’habitat et l’organisation de l’espace sont pensés et réglementés afin de contribuer au bien-être des habitants humains et non-humains (divinités, animaux, etc.). Un certain nombre d’études textuelles et ethnographiques dans la région sud-asiatique montre en effet que la santé et la prospérité, ainsi que la réussite des activités qu’on entreprend, sont souvent considérées comme étant strictement liées aux qualités des sites et aux bâtiments dans lesquels on vit. Une branche de la littérature sanscrite, le vāstuśāstra, ou science des sites et des bâtiments, est spécialement consacrée à l’identification des terrains propices à l’installation des temples et des maisons, ainsi qu’aux techniques de construction garantissant l’harmonie entre les résidants et l’environnement terrestre et céleste.

Les activités des membres de l’atelier porteront non seulement sur les idées élaborées dans les sources textuelles, mais aussi sur leur utilisation dans la société contemporaine. Il sera question d’examiner les processus de transformation et d’adaptation qui permettent d’appliquer les doctrines anciennes à de nouveaux contextes, tels que les appartements, les bureaux, les usines et les entreprises. On s’intéressera également à la relation et aux phénomènes d’hybridation entre les savoirs dits « traditionnels » et les savoirs produits par les architectes, les ingénieurs, et les designers d’intérieur exerçant dans le cadre de professions modernes.

3) Communauté et projets collectifs

Le troisième axe de recherche portera sur des idéologies et des pratiques de bien-être qui sont portées par des collectifs, qu’il s’agisse de groupes de naissances (castes, communautés d’appartenance) ou de groupes constitués volontairement (sectes, association militante, ONG, etc.). Le cas des communautés dites « sectaires » devrait particulièrement nous intéresser. En effet, nombre de sectes hindoues n’encadrent pas seulement la quête de salut de l’individu, mais également toute sa vie sociale en proposant des lieux de vie communautaire qui imposent un certain gouvernement des corps, des lieux d’éducation, des coopératives de travail, un réseau d’alliances matrimoniales, etc. La quête de transformation de soi qui sous-tend l’engagement au sein de ces communautés s’articule ainsi à une aspiration à transformer la société. Il s’agira donc de s’intéresser aux idéaux collectifs dont ces groupes sont porteurs. Quels imaginaires de bien-être véhiculent-ils ? Quelles ressources vernaculaires mobilisent-ils ? Quelles places tiennent-elles dans la mise en place de projets communautaires ? Tout en menant un travail historiographique sur la veine utopique hindoue – avec l’analyse de notion bien étudiées telles que le « royaume de Rāma » (rāmrājya), de « famille du maître » (gurukula) ou d’ « ermitage » (āśrama), il s’agira de rendre compte de la mise en pratique collective de ces idéaux, par l’ethnographie d’expérimentations contemporaines d’alternatives communautaires.

Les travaux de cet atelier thématique prendront la forme de séminaires annuels d’enseignement associés à des journées d’études organisées autour de tel ou tel aspect de la problématique cernée. Ainsi dès la rentrée 2012, un séminaire bimensuel portant sur le thème « Idéaux de vie dans l’hindouisme : corps, habitat et communauté », animé par C. Guenzi et R. Voix, se tiendra à l’Ehess. L’organisation d’un panel pour la conférence de l’European Association for South Asian Studies est également envisagée pour l’été 2014.

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