CECI n'est pas EXECUTE Émotions et mobilisations politiques dans le sous-continent indien

Les ateliers du quinquennal 2014-2018 |

Émotions et mobilisations politiques dans le sous-continent indien

Émotions et mobilisations politiques dans le sous-continent indien

Coordination : Stéphanie Tawa-Lama et Amélie Blom

Le projet « Emotion et mobilisation politique dans le sous-continent indien » vient d’être retenu par le jury du programme de soutien à la recherche « Emergences » de la Ville de Paris. Il recevra dans ce cadre une subvention financière de la Mairie de Paris d’un montant de 200.000 euros à compter du 1e janvier 2013.

 

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Les émotions sont aujourd’hui au coeur de l’étude du politique et des sociétés. L’attention qui leur est accordée éclaire d’un jour nouveau la compréhension des régimes politiques, des idéologies et, surtout de la mobilisation collective au sens large, incluant aussi bien la participation politique que l’engagement militant. Ce regain d’intérêt a toutefois laissé dans l’ombre la dimension émotionnelle de la mobilisation politique, à la fois similaire et distincte, dans les États non-occidentaux, comme l’Inde et ses voisins le Pakistan et le Bangladesh. Faire voyager les concepts et acquis de l’étude des émotions en Occident et interroger leur pertinence dans un tout autre contexte permet pourtant d’évaluer le caractère à la fois universel et culturellement dépendant des émotions, dans leur manifestation tant expressive que normative et vécue.


Cette démarche permettra notamment de mieux comprendre les dynamiques citoyennes et contestataires qui façonnent le jeu politique dans une région du monde traversée par d’importantes transformations socio-économiques et une effervescence politique en contextes démocratique (l’Inde est la « plus grande démocratie du monde ») comme autoritaire (le Pakistan et le Bangladesh ont connu tour à tour des régimes démocratiques et autoritaires). Si le sous-continent indien constitue un champ d’observation du rôle des émotions dans la mobilisation politique particulièrement riche, c’est aussi qu’il a une longue tradition de manifestations de rue qui, depuis la lutte anticoloniale, n’a pas faibli. Il connaît, également, une mobilisation citoyenne forte (taux élevés de participation aux élections indiennes par exemple) et des sociétés civiles extrêmement dynamiques (comme le montrent le réseau dense d’ONG pour la défense des droits de l’homme, des femmes, des minorités, ou encore de l’environnement, les associations de quartier, les syndicats ouvriers et étudiants, etc.). Enfin, cette région est aussi le théâtre d’une violence politique particulièrement meurtrière (attentats-suicides par des groupes jihadistes, attaques régulières contre les minorités religieuses, etc.). L’ensemble de ces processus de mobilisation ne sont évidemment pas neutre affectivement.

Les spécialistes du sous-continent indien ont certes pris en compte l’importance des émotions dans la mobilisation politique mais en oscillant entre deux pôles qui ne permettent pas, à notre sens, d’en saisir toute la portée. D’un côté, les émotions sont entendues comme des faits sociaux totaux, surdéterminant l’ensemble des processus politiques : les violences communautaires entre hindous et musulmans sont par exemple réduites à leur dimension psychique. De l’autre, elles seraient instrumentalisées par des leaders politiques en mal de soutien et n’auraient, donc, de valeur explicative que par défaut. Par ailleurs, les approches structuraliste et cognitiviste qui ont monopolisé l’étude anthropologique des émotions dans la région font de leur expression publique, et même de leur ressenti, des phénomènes construits, « créés » par l’environnement culturel et social. Ces trois grilles de lecture nous empêchent, tout d’abord, de saisir toute l’importance des revendications morales, et des émotions qui les sous-tendent (colère, indignation, mais aussi amour et joie), dans les très nombreuses mobilisations politiques qui ont lieu en Asie du Sud. Elles nous privent, ensuite, de la possibilité d’appréhender les émotions individuelles à l’oeuvre dans des mobilisations collectives comme ayant, aussi, leur propre autonomie, ainsi que l’ont démontré les avancées récentes des neurosciences, de la psychologie politique et de l’anthropologie historique critique ; et partant, d’en saisir toute la créativité. Il a également été démontré, dans le cas justement du sous-continent indien, que même une émotion aussi socialement contraignante que la « gratitude », par exemple, n’est jamais simple affaire de règles codifiées mais implique un « sentiment d’incertitude, de la stratégie, du risque ». Enfin, la grille de lecture « instrumentaliste » repose sur une opposition « émotion »/« raison », largement invalidée, et qui n’explique pas pourquoi certaines émotions plutôt que d’autres sont stratégiquement utilisées par les entrepreneurs de la mobilisation, ni même quelles émotions sont proprement mobilisatrices.

La dimension émotionnelle de la mobilisation politique dans le sous-continent indien est trop importante pour ne pas faire l’objet d’une analyse renouvelée qui puisse tenir compte des apports les plus récents dans l’étude des émotions. Pour ce faire, on prendra pour fil conducteur, et problématique centrale, le processus de « politisation » des émotions dans les expériences de mobilisation. Ce concept, forgé dans un tout autre contexte, nous sera d’une grande utilité pour mettre à jour les indicateurs, les vecteurs et les contextes par lesquels des émotions acquièrent une signification politique. Par quels mécanismes, en effet, des émotions privées deviennent-elles publiques et des problèmes politiques sont-ils requalifiés (ou disqualifiés) comme relevant d’émotions légitimes (ou illégitimes) ?

Notre lecture processuelle des émotions dans la mobilisation politique dans le sous-continent indien s’appuiera sur une approche interdisciplinaire intégrant la science politique, la sociologie, l’anthropologie et l’histoire, ainsi que les études littéraires. Seule une équipe interdisciplinaire peut, en effet, nous permettre d’étudier l’interaction entre émotion et mobilisations politiques dans toute sa complexité et sa diversité. Notre atelier thématique étudiera des phénomènes aussi variés que le rôle de l’humour mais aussi de l’humiliation dans les associations citoyennes à Delhi ; l’apparition du « bonheur » comme norme et sensibilité dominantes dans les mobilisations au Maharashtra indien; le « travail émotionnel » des leaders nationalistes hindous ; la force de « l’outrage » dans les mobilisations des Dalits (intouchables) au nord de l’Inde ; l’articulation entre sentiments moraux (vertu et dignité) et expériences émotionnelles (joie et amour mais aussi peur et anxiété) dans la ré-islamisation des jeunes en Inde et au Pakistan ; l’importance des émotions « obligatoires » (Mauss 1969) dans les mobilisations anti-blasphème des trois pays ; ou bien encore les processus d’allocation du blâme à l’oeuvre dans les mobilisations qui suivent les désastres naturels au Bangladesh. Les historiennes membres de notre équipe nous aideront à appréhender l’évolution dans le temps des connaissances sur les émotions, rendant certaines désirables ou indésirables, ainsi que des normes régulant leur expression publique. Cette interrogation pourra porter, plus précisément sur la colère - émotion « politique » s’il en est -, en prenant pour point d’ancrage empirique la mobilisation de la minorité musulmane indienne depuis le 19e siècle. Elle pourra également s’appliquer à l’indignation et à la peur, deux émotions qui éclairent la mobilisation des ouvriers et sa répression dans l’Inde coloniale. Les spécialistes d’études littéraires nous aideront, quant à elles, à mieux comprendre une dimension souvent négligée de la mobilisation politique, à savoir la littérature et la poésie engagées. Celles-ci jouent pourtant un rôle absolument central dans la politisation des émotions, en rendant accessible au plus grand nombre des registres de mobilisation qui font sens. Ces spécialistes nous permettront également d’accorder toute l’importance qui lui est due au vocabulaire émotionnel propre aux différentes langues de la région.

Cette équipe nous permettra ainsi de mener de front les deux volets de notre stratégie de recherche. D’un côté, l’analyse de la récurrence et de la diversité des expressions de la peur, de la colère, de l’outrage, mais aussi de l’amour et du plaisir, dans les pratiques citoyennes et protestataires de l’Inde, du Pakistan et du Bangladesh, nous permettra de poser de manière quasi idéal-typique la question du rôle des émotions dans la formation et l’évolution des cultures politiques. De l’autre, nous mettrons à profit les avancées les plus récentes dans l’étude des émotions en politique - en particulier dans le domaine de l’anthropologie critique, de la psychologie politique, de l’histoire culturelle et de la sociologie des mobilisations - afin de tester « l’exportabilité » des instruments d’analyse des émotions hors du contexte principalement occidental dans lequel ils ont été élaborés, et éventuellement d’en dévoiler certains angles morts ou présupposés implicites.
 

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