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Études gujarati et sindhi : sociétés, langues et cultures |

Présentation de l'atelier thématique

Coordination : Michel Boivin et Pierre Lachaier

 

Cet atelier est issu du groupe de travail de même dénomination, qui s’est constitué en 2004 autour du séminaire de Françoise Mallison à l’EPHE, avant d’être rattaché à l’École Française d’Extrême-Orient (EFEO, Paris, voir la page "Une décennie d'histoire"). Il a pour objectif de rassembler des étudiants et des chercheurs travaillant sur l’aire géographique du Gujarat et du Sindh à travers une approche pluridisciplinaire alliant l’anthropologie, l’histoire, la géographie à l’urbanisme, l’architecture et l’histoire de l’art (voir la liste des réunions). Il entend démontrer la pertinence d’une telle approche consacrée en premier lieu à deux régions de l’Asie du sud qui, bien qu’elles soient limitrophes, ne sont que rarement associées dans une démarche comparative, malgré l’intensité de leurs liens pluriels et multiséculaires. De nos jours, la population du Gujarat est de 50 M d’habitants (2001) et celle du Sindh de 43 M (2012)[1]. Dans la première les hindous représentent 89% du total, et les musulmans 9%, alors que dans le Sindh, les hindous sont 9% et les musulmans 91% : on observera que les deux provinces sont dans une fourchette démographique comparable, et que le ratio des hindous et des musulmans est quasiment inversé.

 

L’intitulé inclut trois axes majeurs de recherche :

 

Urbanisme, ethno-architecture et reconfigurations sociales

Les côtes très découpées de l’Inde du sud-ouest ont été propices à l’établissement de rapports commerciaux lointains, se ramifiant du Golfe persique et des côtes africaines à Malacca. A l’époque coloniale, si Ahmadabad, Surat et Porbandar ont été parmi les principaux centres commerciaux au Gujarat, Karachi devint le plus important du Sindh au XIXe s.

Avec 350-450 000 habitants résidant dans ses centaines de quartiers communautaires fermés appelés Pol ou Mohalla, la vieille ville commerciale et industrielle d’Ahmadabad, qui subsiste encore dans le périmètre de son enceinte démolie, attend aujourd’hui d’être inscrite au patrimoine mondial par l’UNESCO. Fort peu de spécialistes de sciences sociales[2]ont fait une enquête de terrain dans les Pol, et leurs meilleurs travaux ne comprennent aucun plan ni illustration, bien que la collaboration d’architectes soit indispensable pour leur étude.

Les Pol. Nous rendrons compte de notre enquête de terrain faite en2010-2011 dans le Moti Hamam-ni Pol, où l’étudiant Ashok Patel nous avait précédé d’environ dix ans[3]. Ce Pol était alors seulement habité par des hindous Kadva et Leuva Patel, et par quelques familles de brahmanes et de barbiers qui leur rendaient les nécessaires services rituels ; mais aujourd’hui, il abrite aussi plusieurs familles de commerçants râjasthâni et quelques-unes d’une caste réputée intouchable, une intrusion qui a été fort mal ressentie, et qui semble avoir marqué la fin de l’époque strictement communautaire de ses habitants originels. Ce Pol sera comparé avec un autre petit Kadva Patel Pol, où nous avons enquêté en 2013, ainsi qu’avec le Kadva Patel Pol étudié par Doshi et dont nous avons mis à jour le travail publié en 1974.

Les corporations. Les études socio-économiques sur le mouvement d’industrialisation d’Ahmadabad du XIX-XXe s. se sont souvent focalisées sur l’association du patronat, l’Ahmadabad Millsowners Association (AMA), formée en 1891, et sur celle de leurs ouvriers et employés, l’Ahmadabad Textile Labour Association(TLA ; Majūra Mahājana), créée par Gandhi en 1920. En revanche, rares sont les auteurs qui mentionnent les associations de marché, issues des anciennes corporations ou Mahajan, comme le Maskati Cloth Market Mahajan et le Panch Kuva Kapad Mahajan créés respectivement en 1906 et en 1897 par des marchands hindous et jaïns, pour commercialiser la production des usines textiles. Nous essayerons de rendre compte de l’état actuel et passé de ces deux Mahajan de marchands de tissus en gros, et de quelques autres Mahajan rencontrés en 2013 et 2014, en nous appuyant sur nos observations de terrain ainsi que sur quelques documents, dont des règlements, que des responsables de Mahajan nous ont remis.

 

Communautés marchandes

De toutes les régions du sous-continent, c’est certainement dans celles de l’Inde du nord-ouest – Gujarat continental, Saurashtra (ou Kathiawar), Kutch et Sindh – que les vocations marchandes ont été de tous temps les plus nombreuses[4] : Hindous vaishnavites de diverses castes, dont les Bhatya et Lohana originaires de la vallée de l’Indus, Musulmans sunnites et chiites, Jaïn schwetambara et Parsi zoroastriens… comptent toujours parmi les plus notables de ces marchands, dont la plupart forment aujourd’hui une diaspora mondiale. Nous nous concentrerons ici sur les communautés musulmanes les plus importantes.

Le Gujarat et le Sindh sont deux provinces maritimes majeures du nord-ouest de l’Asie méridionale. Chacune possède une identité régionale qui lui est propre, qui s’appuie  sur l’usage d’un alphabet et d’une langue spécifiques. Malgré cela, le Gujarat et le Sindh partagent des groupes sociaux, en particulier des communautés marchandes comme les Lohanas, les Parsis, les Bohras, les Khojas et les Memons. Ces trois dernières sont musulmanes et bien qu’étant mentionnées dans les publications coloniales, elles ont commencé à émerger en tant que telles avec les travaux d’A. A. A. Engineer,[5] avant de faire l’objet de travaux scientifiques qui restent cependant ponctuels. Bien qu’étant chiites pour les deux premières, et sunnite pour la dernière, ces communautés ont en commun autant des pratiques commerciales que des comportements sociaux, liés par exemple au mariage. Leur gestion de l’autorité est cependant divergente.

Avant la partition, de nombreux mouvements migratoires existaient entre les deux provinces. Dès le XIXe siècle, Karachi comprenait des gujaratis qui, avec les Lohanas sindhis, dominaient le commerce colonial. Ces communautés marchandes musulmanes (CMM) se déployèrent dans la continuité de l’expansion coloniale britannique, française et portugaise dans la partie occidentale de l’Océan Indien, du sultanat d’Oman au Mozambique, en passant par Madagascar et la Réunion. Après les indépendances, les politiques nationalistes des États africains de la région contraignirent une grande partie des CMM à émigrer en Europe et en Amérique du nord.

Cet axe entend mutualiser les travaux de chercheurs et d’étudiants du centre et hors-centre qui sont des spécialistes de ces communautés. En effet, contrairement aux castes marchandes hindoues, peu de programmes de recherche ont été consacrés à ces groupes, hormis quelques études pionnières qu’il conviendrait de prolonger. Une fois encore, cet axe pourrait revêtir la forme d’une étude comparée des communautés marchandes musulmanes dans le Gujarat et le Sindh. Le point de départ sera l’impact de la partition sur le développement socioreligieux de ces groupes en Inde et au Pakistan, ainsi que dans la reconfiguration de leurs réseaux dans la diaspora de l’océan indien. Les points d’entrée de l’axe seront la question de la centralisation et de l’uniformisation des croyances et des rituels, ainsi que les dissidences. Par exemple, le décès récent du guide suprême des Bohras (dai al-mutlaq) a donné naissance à une guerre de succession : comment est-elle vécue par les fidèles en Inde, où se trouve le siège de l’autorité suprême ? Mais également au Pakistan ? Et dans la diaspora est-africaine ? Et enfin dans la diaspora occidentale ?

Un autre objectif majeur de cet axe sera d’examiner les recompositions sociales – l’indianité – et religieuses – l’islamité - qui permettent à ces communautés de s’intégrer au sein des États occidentaux, par exemple à la laïcité ‘à la française’ ainsi qu’au régime légal pluri-culturaliste du Portugal.[6]

 

Les minorités et les ‘lieux saints complexes’ à l’épreuve de la radicalisation religieuse

Les deux provinces du Gujarat et du Sindh ont été représentées pendant des siècles comme des terres de tolérance religieuse imprégnées par des mouvements dévotionnels comme le soufisme ou la bhakti. Le développement du nationalisme à partir de la fin du XIXe siècle a contribué à renforcer un processus de recomposition et de fixation des identités religieuses. La partition de 1947, suivi de trois guerres entre l’Inde et le Pakistan, a théoriquement figé la frontière, bien que des zones près du Rann de Kutch, comme la Kori Creek, restent encore des objets de litiges entre les deux pays.

Cet axe se concentrera sur une nouvelle phase de radicalisation religieuse qui a commencé dans les années 1980. Ses effets n’ont cependant pas été visibles avant la fin des années 1990. Dans le Gujarat, un processus d’hindouisation des cultes jusque-là qualifiés de ‘mixtes’ a été enclenché. A cet égard, l’exemple du culte d’Imam Shah est représentatif. Imam Shah était un imam (guide divin) des chiites ismaéliens, ou bien un prétendant à cette fonction, ayant sans doute vécu au XVe siècle. De tels mouvements, étudiés en particulier par Dominique-Sila Khan[7], existent au-delà du Gujarat et du Sindh, en particulier au Rajasthan. Dans les années 1990, le culte d’Imam Shah a été ‘hindouisé’, de telle sorte que dans la tradition réinventée, il est devenu un adorateur de Naklanki, le sauveur à venir qui doit mettre fin au Kal Yug.

Depuis la partition, le Gujarat a connu plusieurs cycles de violences entre hindous et musulmans. En 1969, les émeutes d’Ahmedabad, la capitale de l’État, provoquèrent la mort de 660 personnes dont 430 musulmans.[8] Puis d’autres violences survinrent en 1985, en 1992 dans la continuité de l’affaire d’Ayodhya, avant que le BJP n’accède au pouvoir en 1995 au niveau du Gujarat et de sa capitale. Pendant son exercice du pouvoir, les émeutes se multiplièrent mais aucune n’atteignit le niveau du pogrom orchestré par le pouvoir en 2002 qui provoqua la mort d’environ 2000 personnes, surtout des musulmans. Dans le Sindh, la radicalisation religieuse s’observe à travers deux processus. L’accession au pouvoir de Zia ul-Haqq en 1977 a créé un contexte inédit : pour la première fois, un chef d’État pakistanais proclamait ouvertement son intention d’instaurer la charia. Malgré l’imposition de quelques ‘peines islamiques’ (hududs), ces mesures enclencheront un processus d’islamisation qui, dans une certaine mesure, sera l’écho de mouvements internationaux marqués par exemple par la révolution islamique en Iran.

La première dynamique de ce processus se déroule dans la longue durée et il est ‘soft’, donc assez peu perceptible: il s’agit de l’islamisation des ‘lieux saints complexes’[9]. Depuis la fin des années 1990, des objets rituels sont retirés des lieux publics. A Sehwan Sharif par exemple, où se trouve le tombeau du soufi Lal Shahbaz Qalandar, les cloches que le pèlerin devait faire tinter en franchissant la porte d’entrée du sanctuaire ont quasiment toues disparues. La raison généralement invoquée est que ce sont des références ‘hindoues’. La seconde dynamique est plus brutale quoique sporadique : il s’agit du renforcement de la discrimination à l’encontre des minorités religieuses, au premier chef les hindous, qui relèvent parfois de la persécution. A travers une instrumentalisation de la loi adoptée sous Zia ul-Haqq, des hindous du Sindh intérieur sont régulièrement accusés de blasphème. Ailleurs, comme à Karachi, les mafias démolissent des temples hindous sous prétexte qu’ils sont désertés. Les migrations d’hindous sindhis vers l’Inde auraient été décuplées au cours de ces derniers mois.

Dans cet axe, il s’agira de déterminer quels sont les acteurs de ces transformations, mais également quelles en sont les conséquences sur la pratique, plus particulièrement sur l’expression rituelle et informelle de la dévotion. Un autre point à élucider concernera les politiques construites au sein des lieux de pouvoir, à travers les deux échelles de l’État central et du gouvernement provincial.

 

L’atelier thématique ‘Études gujarati et sindhi’ travaillera en interaction avec d’autres ateliers thématiques comme ‘Vécus de la pluralité religieuse et réflexivité en Asie du sud’ coordonné par Aminah Muhammad Arif et Grégoire Schlemmer, mais également avec d’autres groupes de recherche à l’international comme l’Institute of Sindhology ou la Gujarat Studies Association.



[1]Ces chiffres ne tiennent pas compte des gujaratiphones du Pakistan ni des sindhiphones de l’Inde, ni surtout des diasporas. On peut raisonnablement estimer que la population concernée par l’atelier avoisine les 100 millions de personnes.

[2]HarishDoshi, Traditional Neighborhood in a Modern City, Abhinav Publications, New Delhi, 1974.

[3]Pierre Lachaier, « Une étude sociologique d’un quartier communautaire ou pol, par Ashok PATEL »,Bulletin des Études Indiennes, BEI, n°28-29 (2010-2011), 2013, Paris.

[4]Voir “Mercantile Ethos”, p. 19-38, in YAGNIK Achyut & SHETH Suchitra, The Shaping of Modern Gujarat, Plurality, Hindudva and Beyond, Penguin Books, New Delhi, 2005.

[5]A. A. Engineer, The Muslim Community of Gujarat. An Explanatory Study of Bohras, Khojas and Memons, Delhi, Ajanta Books International, 1989.

[6]Voir l’ouvrage pionnier de Pierre Lachaier, Les Khojas duodécimains de langue gujarati. De la jamate de La Courneuve au réseau mondial, Paris, EFEO, 2012.

[7]D. S. Khan, Conversions and Shifting Identities. Ramdev Pir and the Ismailis of Rajasthan, New Delhi, Manohar-Centre de Sciences Humaines, 1997.

[8]L. Gayer et C. Jaffrelot (ed.), Muslims in Indian Cities. Trajectories of Marginalisation, London, Hurst, 2012, p. 53.

[9]Sur cette notion, voir Michel Boivin, « Compétition religieuse et culture partagée dans les lieux saints complexes d’Asie du sud », in Isabelle Depret et Guillaume Dye (dir.), Partage du sacré. Transferts, dévotions mixtes, rivalités interconfessionnelles, Bruwelles, EME, p. 150.

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